top of page
Photo du rédacteurMarie Delagrave

Le boa qui a mangé un éléphant



La fin de 2023 approche à grands pas et je suis ébahie par mon automne gargantuesque en terme d’acquisition de connaissances. Une amie à qui j’en faisais part a évoqué l’image d’un boa qui a ingurgité une proie si grosse qu’elle lui gonfle le milieu du corps comme un ballon, «en attente» de sa digestion. Ça m’a immédiatement fait penser au serpent qui a avalé un éléphant, dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry!


Bien que cette silhouette ne corresponde pas vraiment au standard physique que je recherche (!), vrai que, intellectuellement, c’est comme ça que je me sens. Et, en dépit des insécurités et des inconforts de tout apprentissage, c’est un privilège que de pouvoir continuer à apprendre.


Début octobre, j’ai été initiée, l’équivalent d’une journée, à la rotoscopie telle que pratiquée au centre d’artistes La Bande Vidéo. Dans un précédent billet, j’expliquais que la rotoscopie est le nom officiel pour décrire la technique cinématographique image par image (entre 8 et 12 par seconde pour de l’animation) datant de la fin du XIXe siècle. Le principe est simple: il faut produire une moyenne de 10 dessins par seconde (oui, par seconde) et l’accumulation de ces images permet, en bout de ligne, de donner l’illusion du mouvement.


Enfant, j’avais déjà vu ce principe simplifié par l’entremise du «flipbook» (en français pointu: folioscope, feuilletscope ou feuilleteur). Voici un très court exemple tiré d’une vidéo (1) trouvée sur Internet.


De nos jours, la rotoscopie s’effectue par ordinateur, par l’entremise d’une tablette graphique. À la Bande Vidéo, j’ai ainsi eu accès à une tablette de 22 pouces (56 cm) sur laquelle on peut dessiner au moyen d’un crayon spécial. La tablette est liée à un ordinateur, équipé du logiciel Photoshop, doté d’une timeline, c’est-à-dire une ligne de montage chronologique.


J’ai donc appris la procédure permettant de dessiner sur une vidéo (mais sans obligation de voir celle-ci sur le document final), image après image. Et pourquoi faire simple? J’ai voulu tester la restitution du mouvement de vaguelettes sur un lac. La vidéo qui suit montre avec quelle rapidité les images se succèdent, puis j’ai ralenti considérablement la vitesse, question d'afficher un à la fois les dessins (exécutés sans souci de performance) de l'animation.


Disons que cette formation, donnée par le très patient directeur technique de la Bande Vidéo, Ricardo Savard, m’a permis d’encore mieux apprécier une oeuvre vidéo de l’artiste indienne Nalini Malani présentée au Musée des beaux-arts de Montréal cet été. L’installation Can You Hear Me? (2018-2020), constituée de 88 animations dessinées à la main sur iPad, m’avait fait m’exclamer: «Mais c’est ça que je veux faire!!!»



Habitée par cette oeuvre de Malini, lorsque j’ai eu vent d’une formation à Montréal chez Oboro (un centre d’artistes) sur l’installation immersive, je me suis sentie interpelée. Et je me suis inscrite. Nous n’étions que sept participants, d’horizons (et d’âges) bien différents: une danseuse professionnelle, un cinéaste documentaire, un travailleur social, une designer 3D, un acteur et metteur en scène… La formatrice, l’artiste doctorante Olivia McGilchrist, pratique pour sa part la réalité virtuelle. Pendant trois jours, il a été question des XR - des réalités étendues -, ce qui comprend la réalité augmentée, virtuelle, la vidéo 360˚, la vidéo volumétrique… Surveillés de près par l’industrie du divertissement, ces domaines sont vastes, en constante évolution et exigent souvent la présence d’une équipe pour mener un projet à terme.


J’en suis revenue avec tout plein de références à consulter (patiemment colligées par la formatrice) et aussi beaucoup de questions. Par exemple: qu’est-ce que ces technologies peuvent apporter à mon propos? Seulement un bel emballage pour attirer l’attention? Ou une expérience impossible à ressentir autrement?


Intermède


Dans mon dernier billet, je me déclarais insatisfaite d’un montage vidéographique sur lequel j’avais travaillé mais qui n’avait pas (encore) abouti en dépit de mes efforts. Hé bien - entre deux formations! - j’ai réussi à lui donner une direction qui convient davantage à ce que j’envisageais. Je le considère comme un prologue car il me semble être le début de quelque chose…



Photogrammétrie


Puis, le «plat principal» de mon automne a été la résidence d’exploration au centre d’artistes La Chambre Blanche, en photogrammétrie: deux semaines d’apprentissage et de pratique, suivies d’un mois d’accès au laboratoire. Ma première impression? Wow! Car quelle chance que d’avoir accès à des technologies pas si intuitives et ce, avec le soutien d’un formateur! Carl-Dave Lagotte, responsable des laboratoires, a été (lui aussi) d’une grande patience… À ma décharge, le fait qu’il n’y avait pas de manuel d’instructions et que la photogrammétrie requiert l’utilisation de plus d’un logiciel a ébranlé ma capacité à comprendre vite et bien. Je devais composer de surcroît avec un ordinateur équipé de Windows, moi qui n’ai connu que les produits Apple. Mes limites se sont fait sentir, mais à force de prendre des notes, de (re)poser des questions et d’expérimenter, je me suis fabriqué un cahier de procédure pas mal du tout.


Donc, les deux premières semaines n’ont pas été de tout repos, mais dès que les «fruits» ont commencé à apparaître, ça m’a galvanisée. Mais d'abord, quelques explications.


La photogrammétrie est vraiment exigeante par la diversité de ses étapes et de la rigueur qu’elle exige. En simplifiant un peu, cette technique (telle que pratiquée à la Chambre Blanche) consiste à prendre de nombreuses images numériques d’un objet, de différents points de vue, en en faisant le tour sur 360 degrés, tout ça dans le but de le reconstituer en trois dimensions.


Pendant la pandémie, l’ingénieux Carl-Dave a patenté (vraiment!) une structure sur rails et roulettes sur laquelle sont arrimés cinq appareils photos, leur objectif dirigé vers l’objet installé au centre de la pièce. Ces appareils sont déclenchés à distance simultanément par l’utilisateur, après chaque déplacement manuel de la structure, et ce 96 fois pour revenir au point de départ. Pendant ce trajet circulaire seront amassées 490 photos.


Dans le cas de petits objets comme ceux que j'ai choisis, la gommette bleue (le monticule sur la dernière photo) devient l'option préférée pour les faire tenir en place!

S’ensuit un traitement des images par l’entremise de deux logiciels, dont le plus important est celui qui va assembler les photographies de façon à rendre la texture et le volume de l’objet. Cela peut prendre des heures, selon les dimensions du modèle «photogrammétrisé»! La plupart du temps, ce travail, très accaparant pour l’ordinateur, est lancé en fin de journée.


La plupart des usagers de la Chambre Blanche font de la photogrammétrie dans le but d’imprimer leur(s) modèle(s) en 3D, par exemple pour des maquettes d’oeuvres d’art intégrées à l’architecture.

Pour ma part, j’avais pour ambition de photographier en 3D quelques modelages déjà réalisés, dans le but de leur faire transcender les limites de l’argile par l’entremise d’un logiciel de modélisation. Mais! Le principal avantage de l‘exploration étant cet état d’ouverture à ce qui survient, je me suis surprise à admirer les nuages de points et les

maillages des photogrammes récoltés, offrant des transparences et une espèce d’immatérialité tout à fait fascinantes. Ça m’a incitée à élargir mon répertoire formel à des objets organiques (feuilles mortes, coquillages, branchage, pelure d’orange…). Puis à collectionner, sous forme de saisies d’écran (plus de 500…), les multiples et différentes vues, souvent en plan très rapproché, de ces formes transfigurées.


Une fois qu'un objet a été transformé en photogramme, il est possible de le visionner avec certains logiciels. J'ai fabriqué cette petite démo de quelques vues que l'on peut obtenir: d'abord, celle du modèle avec sa texture naturelle, puis tel qu'il apparaîtrait s'il était imprimé en 3D (par exemple en résine). Les deux dernières vues sont celles qui m'intéressent le plus car elles font appel aux «rayons X» numériques qui permettent de voir l'objet en transparence et en maillage. Désolée pour le mouvement saccadé: c'est que j'ai fait bouger la forme simplement avec ma souris et... ce n'est pas évident.

Un petit aperçu de ma collection de saisies d'écran, où mes modèles deviennent quasiment surnaturels!

J’ai aussi enregistré mes objets tournant sur eux-mêmes (cette fois sans qu'intervienne ma souris!), là encore en gros plan, grâce à un logiciel de visionnement et j’ai découvert qu’en zoomant trop, cela créait des distorsions assez hallucinantes. Souvent, on ne reconnaît plus la forme de départ, et je dirais que c'est tant mieux car j'adore créer des univers ambigus.


Me voilà donc, à ma grande surprise, avec un volumineux matériel propice à… la création de vidéos expérimentales!



J’en suis encore aux balbutiements côté réalisation (cela prend du temps!), mais je peux déjà annoncer, avec jubilation, que l’hiver sera bien occupé.


Marie Delagrave


Notes

(2) «Par-delà les frontières» de Nalini Malani au MBAM: https://www.mbam.qc.ca/fr/expositions/nalini-malani/

 


Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page