L’été a filé tellement vite! Et en ce qui me concerne, ce n’est pas en raison de son côté pluvieux - qui en temps normal aurait beaucoup affecté mon moral - qui m’aurait laissé sur ma faim. J’ai plutôt été occupée par des séjours riches en images photographiques de même qu’en vidéos, tellement fastes en fait que les mots pour en décrire l’impact ont mijoté tranquillement dans ma tête pendant des semaines. Là, enfin, «ça» veut sortir!
Dans mon dernier billet, j’étais sur le point de partir en Bretagne pour deux semaines, afin d’y réaliser une «résidence d’artiste» privée. Je n’avais pas élaboré sur le concept de résidence, alors voici un peu les grandes lignes.
Une résidence permet à un artiste de s’extraire de son quotidien afin de se ressourcer, d’effectuer un travail de recherche ou de création. L’exemple le plus simple serait celui d’un écrivain qui se retire dans un lieu tranquille pour rédiger son prochain roman. Mais cela s’applique à toutes les disciplines. Tout est possible et peut arriver (ou pas…) pendant cette espèce de «bulle spatio-temporelle». Toutefois, lorsque la résidence est subventionnée, les critères de sélection de même que les objectifs peuvent être très précis; une façon de filtrer les demandes (qui sont nombreuses) et de pousser la recherche sur une thématique prisée par l’organisme qui fournit un cachet, l’hébergement, un lieu de pratique et un accès privilégié à des ressources et des savoir-faire.
Le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des arts du Canada sont les principales instances gouvernementales qui financent les résidences (au pays ou à l’étranger), soit directement, soit par l’entremise de centres d’artistes qui sont eux-mêmes subventionnés pour leur fonctionnement. D’ailleurs, juste avant de partir pour la Bretagne, j’ai planché fort pour l’obtention d’une résidence de trois semaines aux Îles-de-la-Madeleine en 2024. Mais je n’ai pas été retenue. Et on ne sait jamais pourquoi.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus
Pour avoir été sur des jurys comparables, dans les années 1980-90, j’ai pu constater que le nombre de candidatures, mais surtout le manque de temps pouvant être consacré à la rédaction en bonne et due forme d’une évaluation, font en sorte que malheureusement, les artistes sont laissés dans l’ignorance. C’est… démoralisant, certes. Mais mieux vaut être blindé, car neuf fois sur dix, les demandes (résidences, subventions, expositions…) sont refusées, ce qui est d’autant plus frustrant car remplir toutes les exigences pour soumettre un dossier est très chronophage (et ressemble à du temps volé à la création...). Et c’est souvent à recommencer de zéro à chaque fois, car chaque instance a des spécifications qui lui sont propres (nombre de mots pour la démarche et le projet, de pages pour le CV, d’éléments visuels en tel format et telle résolution…).
Cela dit, je vous annonce une grande première pour moi: j’ai été sélectionnée pour une résidence d’exploration (avec cachet, c’est-à-dire que je serai payée pour apprendre: un beau privilège!). Celle-ci se déroulera… à Québec. Pas très exotique - pour moi - comme destination, mais la discipline, elle, m’apparaît vraiment extraordinaire. Il s’agit de la photogrammétrie, qu’on pourrait simplifier (!) comme une technique de reconstruction numérique en 3D d’un objet.
J’avais déjà fait de la modélisation 3D à partir d’un logiciel où je créais une forme à partir d’une sphère «malléable».
La photogrammétrie, elle, me permettra d’obtenir une modélisation à partir d’un objet qui existe déjà. Et j’ai proposé à la Chambre Blanche, qui me recevra pendant deux semaines en novembre, de soumettre mes modelages en argile à cette technique. Par la suite, de retour dans mon atelier, je devrais pouvoir utiliser ces modélisations pour les transformer de manière numérique, en dépassant les limites physiques imposées par l’argile.
Mais j’anticipe trop! Je suis encore très néophyte dans le domaine et plusieurs aspects m’échappent encore: normal. Toutefois, j’ai pu visiter récemment le laboratoire et j’ai été très impressionnée par le dispositif de captation des images.
Et la Bretagne, alors???
Oui, la Bretagne! C’est grâce à un couple d’amis bretons, qui m’a généreusement reçue, que j’ai pu me gaver de paysages splendides, alors que là-bas, il a fait exceptionnellement beau. J’ai apprécié tout particulièrement le bord de mer - turquoise - et les falaises de la Côte-d’Armor que Philippe et Gwénola, de bons randonneurs, m’ont permis de redécouvrir. Ma passion pour les textures, les anfractuosités, les reflets et les miroitements s’en est trouvé très bien alimentée. Vous ne retrouverez donc pas dans l'album qui suit des photos «touristiques» mais plutôt des compositions abstraites comme je les aime.
Côté vidéo, ce sont les remous et les écoulements qui ont retenu mon attention, tout particulièrement leur écume blanche, dentelle en constante transformation. J'ai regroupé ici trois séquences:
Et les revoici rapidement modifiés, question d'offrir un aperçu de leur potentiel:
Tout ça n'est pas typiquement «breton», vous me direz. Avec raison. Ce qu'il faut retenir à mon avis, ce qui importe - surtout lorsque l'on est dans une démarche artistique -, c'est le regard que l'on pose sur les gens, les choses et les lieux. Un regard curieux, critique ou émerveillé, un état d'ouverture que les voyages favorisent, mais qui peut aussi être pratiqué chez soi, si l'on parvient à échapper aux contraintes du quotidien.
Mes amis ont aussi pensé à nourrir mes autres intérêts culturels en m’amenant visiter les vestiges d’un château (celui du Guildo, à Créhen), une abbaye (dite de Beauport, près de Paimpol), un dolmen (site mégalithique de la Roche aux fées à Essé) et un extrait de la collection Pinault (Forever Sixties au Couvent des Jacobins à Rennes), bref: un panorama éclectique comme je les aime.
Situé sur le bord de l'esturaire de l'Arguenon, le château du Guildo date au moins du XIIe siècle. Il a été détruit et reconstruit avant d'être abandonné au XXe siècle. Il a finalement servi de carrière de pierres, ce qui explique pourquoi il lui en manque tant!
Fondée au XIIIe siècle et principalement de style gothique, l'abbaye de Beauport distille un calme qui fait du bien à l'âme...
François Pinault, homme d'affaires milliardaire français, collectionne l'art contemporain depuis une cinquantaine d'années. L'exposition très jubilatoire intitulée Forever Sixties, sur la révolution visuelle des années 60, est tirée de sa collection d'environ 10 000 oeuvres (!!!). J'y ai entre autre découvert un artiste que je ne connaissais pas, Martial Raysse, représentatif du pop art en France (les deux oeuvres du haut) et renoué avec Nikki de Saint Phalle (en bas à gauche) et Duane Hanson.
La Roche aux fées est un dolmen qui a été utilisé comme tombe collective. Aujourd'hui en ruines, le monument néolithique était originellement recouvert par un tumulus, soit une butte de terre et de pierres.
J’ai pris quelque 700 photos et vidéos en Bretagne. Et en les survolant aux fins de ce billet, je me suis retrouvée, de nouveau, dans un état jubilatoire, me retenant pour ne pas me lancer tout de suite dans de nouvelles explorations esthétiques…
Pourquoi me retenir? C’est que je suis déjà engagée dans d’autres projets qui méritent d’être encore poussés. Dont ceux de l’animation vidéo. Et une autre petite victoire: j’ai obtenu, de la part du Conseil de la culture de la région de Québec, un financement à 80 % d’une formation individuelle d’une journée en rotoscopie donnée par la Bande Vidéo. …En roto-quoi? Ro-to-sco-pie. C’est le nom officiel pour décrire la technique cinématographique image par image (entre 8 et 12 par seconde pour de l’animation) datant de la fin du XIXe siècle. De nos jours, la rotoscopie s’effectue par ordinateur, par l’entremise d’une tablette graphique. Je vais apprendre à dessiner - patiemment, houlala! - sur une vidéo.
Autoportrait numérique
Dans ma tête, ça bouge toujours beaucoup. C’est pourquoi lorsque la Chambre Blanche m’a demandé une photo de moi à insérer dans le lancement de sa programmation 2023-24, je n’ai pas pu offrir un banal autoportrait. D’abord, parce que je n’aime pas me voir en photo, car je ne vois que mes défauts. Deuzio, je considère qu’un artiste se doit d’être un peu plus original que, disons, un candidat sur une affiche électorale ou un voyageur en quête d'un nouveau passeport. Alors, comme je suis plongée depuis les derniers mois dans un univers plus technologique, je me suis concocté un pseudo portrait biométrique. Je dis pseudo parce que je ne connais pas tant la biométrie. J’ai juste voulu imiter son apparence et mes délais pour le faire étaient plutôt courts. L’effet est assez spécial…
(Anecdote: lorsque le document de présentation de la programmation a été projeté en grand format et en continu sur un mur de la Chambre Blanche, tout était surexposé. Alors, on ne voyait de moi pratiquement qu’un halo blanc! Mieux vaut en rire…)
Tant qu’à avoir travaillé sur cet autoportrait numérique, j’en ai profité pour changer ma photo de profil sur Facebook (en réalité un dessin datant de 2017) et les réactions se sont concentrées du côté de la stupéfaction, ce qui m’a bien faire sourire. Vrai que ce n’est pas très seyant comme masque. Mais au moins… ça dissimule les rides! Je suis même allée jusqu’à faire une animation toute simple (question de me replonger dans le logiciel Final Cut Pro après plusieurs semaines d’inactivité de ce côté), que voici.
Et de fil en aiguille, ça m’a amenée à ces variations colorées (avec Procreate):
Mon été a également été ponctué d’un court séjour de pêche (où j’ai filmé des effets sur l’eau qui m’ont beaucoup plu) et d’une escapade en Ontario (où j’ai visité des parcs provinciaux qui m’ont ravie). ...Plus de détails dans mon prochain billet, Un été fertile (2)!
Marie Delagrave
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